Derrière le mur… de l’hôpital psychiatrique de Bégard

Derrière le mur… de l’hôpital psychiatrique de Bégard

Derrière le mur… de l’hôpital psychiatrique de Bégard

Bégard, “la ville des fous”. Une image stigmatisante qui s’accroche comme une tare aux patients qui séjournent à l’hôpital psychiatrique. Pourtant, celui-ci propose bon nombre d’activités aux patients, pour les sortir de leur isolement et essayer de briser ce stéréotype négatif.

 

L’enceinte de l’hôpital psychiatrique vue de l’intérieur

 

Avez-vous déjà imaginé le monde qui se cache derrière ce haut mur de pierres brunes ? Il ceinture les cinq hectares que comprend la Fondation Bon Sauveur de Bégard.

La commune de 4 000 habitants héberge en son sein l’unique l’hôpital psychiatrique du Trégor, qui marque à jamais son identité.

Outre leurs vertus thérapeutiques, certaines activités participent à une nouvelle considération des patients, qui souffrent de l’image négative de leur maladie.

« Quand je suis arrivée dans la région, on m’a dit : surtout ne va pas à Bégard, c’est les fous là-bas, ils peuvent te tuer ou te violer ! », témoigne Morgane, 29 ans.

Une autre patiente, Sandrine*, regrette la perte de crédibilité des personnes soignées à l’hôpital. « J’ai traversé la France en blablacar, avec un couple. Quand je suis arrivée à Bégard pour les déposer, une de leur parente, qui est soignante dans l’établissement, m’a reconnue. À l’expression de son visage, je suis certaine qu’elle ne m’aurait jamais laissée partir avec eux, si je devais faire le trajet inverse ! » regrette t-elle. 

Pourtant, la grande majorité des malades ne sont pas atteints par des maladies potentiellement dangereuses. La plupart sont soignés pour des troubles de l’humeur, liés à la dépression notamment.

Taux de personnes prises en charge pour leur santé mentale (Cartographie Assurance-Maladie)
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L'atelier RAMDAM

Avec « RAMDAM », les patients font du bruit pour se faire entendre

Les a priori ont la peau dure. Certains patients tentent de se faire entendre à l’extérieur de l’enceinte de l’hôpital. La Fondation propose un atelier de journalisme, encadré par deux éducateurs. Six patients construisent durant l’année un magazine d’une vingtaine de pages, appelé « RAMDAM », sous-entendu : faire du bruit pour se faire entendre.

Les reporters réfléchissent à des questions à poser sur le thème du café.

David Parlouër, éducateur technique spécialisé, encadre ce projet éditorial avec Matthieu Caroff, éducateur de sport adapté. « À travers le nom du magazine, les reporters veulent montrer qu’ils savent faire des choses et surtout qu’il ne faut pas avoir peur d’eux ! », explique t-il.

Le but premier est thérapeutique. Au début de l’atelier, chaque patient a deux minutes pour parler de lui et de l’évolution de sa maladie. Les animateurs prévoient également des moments de travail sur la mémoire ou la concentration. Cela les invite à travailler sur eux continuellement et à enrichir leur culture générale, déjà étendue. « Nous sommes allés à l’Assemblée nationale l’année dernière, le guide était agréablement surpris. C’était la première fois qu’il avait un groupe aussi féru d’histoire. Il lui manquait parfois des informations. »

Six cents journaux sont distribués dans d’autres établissements de santé et un exemplaire a été déposé sur le bureau du ministère de la Santé, grâce au soutien de Yann Jondot, fait chevalier de la Légion d’honneur en 2019 pour son travail sur l’accessibilité des personnes handicapées.

Des voix dans la tête

Des voix dans la tête

À l’instar du documentaire « Des voix dans la tête », diffusé sur ARTE au mois de février, Jonathan*, Molly* et bien d’autres souffrent d’hallucinations, ou de voix qui leur donnent des « ordres ».

Témoignages :

« Il y a 25 ans, j’ai mis feu à ma maison. C’est pour cela que je suis ici. » Molly raconte son parcours. Avec un peu d’aigreur, elle regrette de ne pas avoir été prise en charge plus tôt, avant de déraper. Aujourd’hui, son corps est marqué par les médicaments. Elle peine à garder la tête droite et s’affaisse de plus en plus. Elle a du mal à se concentrer. Alors, elle laisse sa tête suivre le poids de la gravité et arrête de parler pendant quelques instants. « C’est parce que je stresse un peu de vous raconter tout cela. »
De la mémoire et des choses à dire, elle en a pourtant en stock ! Une fois lancée, on ne l’arrête plus. Molly poétise ou entonne quelques paroles de la chanson de Renaud, C’est quand qu’on va où ? « Tu peux voyager de ta chambre, la haine, ça n’apporte rien…Je suis une artiste, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?! »

Jonathan, lui, était chargé d’amener les décors sur les plateaux de tournage, comme celui de la série Highlander, avant d’être rattrapé par les blessures qu’il a vécues dans son enfance. « C’est comme si il y avait une partie de moi qui partait de mon corps à chaque fois. »
Cela se manifeste par des voix, qui lui donnent des ordres. Comme celui de se déshabiller en public par exemple. « Comme je crois au Bon Dieu, j’ai cru qu’il me parlait. Il m’a dit de me mettre nu pour monter au ciel, sinon j’allais brûler. J’ai su que c’était la maladie, alors je n’ai pas écouté, mais ça me fatigue », confie Jonathan.

« On se sent comme une personne normale »

Tous les participants apprécient énormément l’atelier RAMDAM. Un moyen de sortir de leur condition de « malade mental ». « On se soigne à travers le journal. Les sources sont contentes de nous voir, elles nous parlent comme une personne normale. On se sent plus fort quand on marche dans la rue », explique Jonathan, qui participe à l’aventure depuis sa création.

Sandrine, sceptique au départ, s’est laissée convaincre. « Ça m’apporte beaucoup de pouvoir partager l’histoire des autres. C’est enrichissant. Ils sont drôles, cultivés et, franchement, on se marre bien. Un jour, ma voisine me dit : “Je te bave dessus”. Je lui ai répondu qu’elle avait qu’à tourner la tête de l’autre côté ! »

Vers un processus de soins ambulatoires

Michel Coudron, cadre de santé au service Saint-Luc, est en charge des admissions des patients et de leurs premiers jours de soins. Il explique qu’une directive ministérielle, instaurée il y a plusieurs années, incite les hôpitaux psychiatriques à proposer aux patients une prise de soins ambulatoires. Au lieu de rester à l’hôpital, il s’agit de leur proposer des activités ou un suivi par l’hôpital de jour. « Ces services poussent les patients à sortir de chez eux et à créer du lien social, afin qu’il se réinsèrent dans la société plus rapidement. » À défaut de réduire la médicamentation, cela permet d’occuper les patients et de leur apporter un bien-être indéniable.

Cette prise en charge à domicile est présentée comme un atout par la Fondation. Le directeur de l’établissement, Pascal Conan, en détaille les modalités dans un article publié dans RAMDAM : « On essaie de travailler plus proche du domicile des patients, ce qui est possible aujourd’hui grâce à l’évolution de la prise en charge médicamenteuse des malades. »

Le Service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) suit quarante-deux personnes à domicile à Lannion. Un moyen de donner plus de liberté au patient, comme l’indiquent Michel Coudron et Pascal Conan, mais aussi une autre façon de lézarder le mur entre les malades et l’extérieur.

Loréna Bordiec
Infographies  : Léo Roussel 

*Les prénoms ont été modifiés

 

Santé Mentale en France
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