Briser le tabou autour de la mort, pour être en mesure de la choisir. Il y a quelque années, la femme de Jacques* apprend qu’elle est atteinte d’une maladie incurable. Pendant plusieurs années, le couple va se battre pour se faire entendre sur une question taboue : le suicide assisté et l’euthanasie.

Vous êtes-vous déjà demandé comment vous alliez mourir ? Ou si vous tombiez gravement malade, quelles seraient vos volontés ? Et si ce n’est pas vous, mais un ou une proche ? Pour Jacques et sa femme, parler de la mort n’a jamais été un tabou :
« Nous étions en phase sur ce sujet. Nous nous étions promis de faire le maximum si l’autre se trouvait dans une situation où il devait mourir. Je subis ça comme un échec de ne pas avoir tenu ma parole. »

En 2015, sa femme apprend, qu’en plus de deux maladies dont elle souffre déjà, une troisième s’est ajoutée. Celle-là est incurable et les médecins prédisent une
« descente lente ». Son choix est vite fait. Il n’est pas question de rester dans cet état. « Mon épouse avait choisi le suicide assisté. Elle voulait se rendre à un des trois organismes en Suisse qui le pratique », raconte Jacques.

 

De telles démarches ont un prix, matériel comme physique. Il faut d’abord être certain qu’aucun traitement ne fonctionne, puis se rendre deux fois dans l’établissement avant d’y revenir une dernière fois.

Lorsque l’on est malade, ces déplacements peuvent être très éprouvants, avec des coûts importants. Jacques sort de sa pochette des feuilles regroupant les recherches sur les différents organismes. Le plus cher coûte 10 000 €, sans compter les différents allers-retours.

Les directives anticipées

Dans la poche de son manteau, se trouvent ses papiers. « Carte vitale, groupe sanguin, carte d’adhérent à l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) et une version miniature de ma fiche de directives anticipées », énonce-t-il. Jacques ne s’en sépare jamais ; les avoir toujours sur lui est devenu un réflexe. Sa fiche indique, au cas où sa vie serait lourdement menacée, que Jacques souhaiterait un sédation profonde ou une aide active à la mort si cela devient légal.

Jacques et les papiers dont il ne se sépare jamais.

Pour Jacques, cette fiche à une forte valeur, il aimerait qu’elle soit reconnue. C’est pour quoi il intègre l’ADMD en 2015. « Aujourd’hui, cette fiche n’a pas de réelle valeur, c’est ça le problème. Elle ne fait pas partie des fichiers nationaux reconnus », admet-il.

Cette fiche a pris un sens encore plus important après un rendez-vous à l’hôpital de Lannion qui l’a fortement marqué.
« Lorsque nous étions à l’hôpital, un médecin expliquait à ma femme le processus de sédation. Elle serait d’abord légère, puis profonde. Avant cela, on lui donnerait divers médicaments, se souvient Jacques. Ça a pris un quart d’heure avant qu’elle arrive à dire qu’elle ne voulait pas. C’était très pénible. Forcer la personne comme ça, c’est inhumain. »

Un travail de sensibilisation

Alors que la maladie est supposée être un lent processus, début 2018, tout s’accélère. Avant, sa décision de mourir n’était pas évoquée en famille. « C’était pas vraiment un sujet à aborder en réunion de famille, on gardait ça pour nous deux. On a commencé à en parler un an avant son décès », précise-t-il. Le plus compliqué pour eux est de faire face à certaines remarques telles que « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir ». Mais quand ces personnes rencontrent son épouse, elles finissent par comprendre qu’on puisse vouloir prendre cette décision.

Plus qu’un changement de mentalité, c’est un véritable changement législatif qui est nécessaire. Pour cette raison, l’omerta au niveau du corps médical persiste : « Juste après qu’elle ait envisagé d’aller en Suisse, ça s’est empiré. Elle ne pouvait même plus aller à Brest pour les soins. On a essayé de trouver de l’aide auprès de médecins. L’un était d’accord mais a pris trop de temps. Elle est décédée avant. » Cette aide devait prendre la forme d’un médicament pour abréger ses souffrances.

*Le prénom a été modifié

Garance Diaconu et Lily Jaillard