Peu de jeunes, un grand nombre d’hommes blancs actifs. Vous les reconnaissez ? Ce sont les sources majoritairement présentes dans la presse locale. Un panel de personnes qui ne reflète pas la réalité du territoire trégorrois.

Qui parle dans nos journaux ? La question est remise au cœur du débat, notamment depuis le mouvement des Gilets jaunes. Beaucoup de personnes ne se sentent pas représentées dans les médias, ou très peu. Et pour cause, une catégorie y a une très grande place : les hommes blancs et actifs.

Pour en avoir le cœur net, nous avons épluché l’intégralité des pages trégorroises des quotidiens Ouest-France et Le Télégramme ainsi que l’hebdomadaire Le Trégor, entre le 30 janvier et le 6 février 2019.

Afin d’avoir des chiffres précis, nous avons noté l’âge, le statut et le genre de toutes les personnes citées dans les articles.

 

À votre avis laquelle de ces personnes intervient le plus dans les pages locales des journaux ?

Les pages se tournent, les articles défilent et le même profil revient sans cesse. Que ce soit dans Le Trégor ou dans les pages locales de Ouest-France etLe Télégramme, les hommes, en majorité actifs, brillent par leur omniprésence. 63 % d’hommes pour seulement 37 % de femmes interrogées. Une réalité déformée, puisque plus de femmes que d’hommes vivent dans le Trégor… En effet, une enquête de l’INSEE effectuée en 2015 montre que ce sont les femmes d’une cinquantaine d’années qui sont les plus présentes sur le territoire.

Passez votre souris sur les camemberts

Comment expliquer une telle disparité entre la réalité du terrain et les personnes interrogées par les journaux ? « Les hommes sont plus présents, car les journaux s’intéressent et s’appuient sur les sources institutionnelles, un monde relativement composé d’hommes. C’est un problème général qui n’est pas seulement lié à Ouest-France, mais plutôt à notre société patriarcale », indique David Désille, journaliste à la locale de Ouest-France à Lannion. Si les journalistes veillent à ce qu’il y ait plus de diversité au niveau de la représentation, il n’empêche que beaucoup de personnes sont laissées pour compte. Le mouvement des Gilets jaunes met en lumière ces oubliés des sphères médiatiques. «Lorsque je suis allé sur un rond-point, je me suis rendu compte que, sur une vingtaine de personnes, j’en connaissais peut-être une ou deux », raconte Philippe Gestin, journaliste au Trégor. «Avant, on disait qu’on pouvait trouver les informations dans les bars, parmi les discussions de comptoir. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, ce n’est plus pareil », ajoute-t-il. Avec Internet, c’est aussi l’information qui vient directement dans les rédactions. Par souci de rapidité, n’est-ce pas alors tentant de céder à cette facilité ? Pour les journaux qui ont un rythme de publication quotidien, le temps pour rencontrer de nouvelles sources est quasi-inexistant. Le réseau prime. Alors le temps passé pour une enquête ou un reportage diminue. Et pour être certain d’avoir les informations, on se tourne vers le bon client : la source institutionnelle.

Un monde d’adultes

Manifestations lycéennes, réforme de l’éducation ou problèmes liés à une école… Pour parler des élèves et étudiants dans les médias locaux, les adultes s’en chargent. Une banale histoire de légitimité. « Il est vrai qu’on oublie souvent de tendre le micro aux jeunes. C’est lié aux stéréotypes qu’on se forme. On pense qu’ils n’ont pas beaucoup de choses à dire. Ce qui n’est pas forcément vrai », reconnaît David Désille. Résultat : 2 % des sources interrogées sont mineures et 3 % étudiantes. Une fois de plus le chiffre diffère de la réalité.

Passez votre souris sur les camemberts

« J’ai remarqué que l’on avait tendance à s’adresser aux personnes qui nous ressemblent. Dans la rédaction, nous sommes six journalistes : une femme et cinq hommes », précise Philippe Gestin, « On se rend compte que l’on va peut-être plus parler à des hommes blancs d’une cinquantaine d’années. L’été, ce sont des jeunes journalistes qui nous remplacent et ils ne vont pas forcément parler aux mêmes sources. »

Voilà plusieurs lignes que nous dénonçons le problème de la diversité des sources dans les médias… Mais nous n’y échappons pas non plus : le phénomène est commenté ici par des hommes blancs, journalistes, d’une cinquantaine d’années. Une nouvelle preuve qu’outre les sources, c’est aussi la représentation de la population au sein des rédactions qui doit encore évoluer.  

Garance Diaconu, Erwan Helleux et Lily Jaillard